Le contrôle du vol ! Face aux ballons libres poussés au gré du vent, Le Bris apporte la preuve que le vol, par l'incidence variable des ailes, peut être dirigé. Il préfigure ainsi tout l'avenir de l'aviation moderne…

Et il s'envole, le bon Jean-Marie! Oui, il s'envole, un dimanche du mois de décembre 1856 sur la plage de Tréfeuntec.

Ecoutons Charles-Yves Peslin, son principal biographe:



" ... Un dimanche, toutes les conditions favorables paraissent réunies. Dès les premières lueurs du jour, Le Bris, en proie à une impatience fiévreuse, mobilise deux de ses amis, préposés des douanes, Charles Martin et Guillaume Le Coz, tous trois se rendent à Tréfeuntec où ils s'assurent le concours du propriétaire de la ferme qui consent à atteler sa meilleure charrette son cheval le plus rapide, en quelques instants, les quatre hommes placent sur la plate-forme de la voiture, le châssis ingénieusement conçu pour supporter l'oiseau artificiel

Le curieux cortège s'ébranle vers la plage voisine: Martin et Le Coz placés à chaque extrémité de l'oiseau, protègent les bouts d'ailes du choc des petits arbustes et buissons. En quelques minutes, le magnifique aérodrome constitué par la plage de Tréfeuntec est atteint.

Le Bris, avant de prendre place dans sa nacelle, donne à ses aides ses dernières instructions, explique une fois de plus ce qu'il attend d'eux. Le fermier, conducteur de l'attelage, doit se tenir assis sur le côté du véhicule, guidant son cheval qu'il a mission de pousser à sa vitesse maximum: l'un à droite, l'autre à gauche de l'appareil, Martin et Le Coz doivent continuer à protéger les plans, pendant que le convoi prend de la vitesse; quant à Le Bris, confiant dans la justesse de son raisonnement, assuré du succès par la qualité de son travail ,il prend place dans sa carlingue.

Au convoi imposant constitué par son matériel et ses aides, Le Bris donne le signal du départ. Malgré son calme et sa froideur apparente, le capitaine Le Bris connaît l'angoisse du premier vol d'essai. Mais ingénieur et réceptionnaire, sa foi dans son œuvre contribue à lui conserver tout son sang-froid et une parfaite maîtrise de lui-même, ce qui avouons-le, n'était pas de trop en pareille circonstance.

Au coup de fouet du conducteur, le cheval, aiguillonné par l'inquiétude de son chargement anormal, part à une allure qui augmente rapidement, soucieux de ne pas créer un effort inutile, Le Bris maintient ses ailes dans une position aussi neutre que possible.

Au trot succède le galop. Sentant le cheval arriver au maximum de son effort malgré les encouragements du fermier et les cris des deux aides qui, ne pouvant soutenir l'allure, suivent 1a charrette à une distance de plus en plus grande. Le Bris, de toute sa force agit sur les leviers, transmet à ses ailes un effort puissant pour les amener à la position voulue, comme pour serrer le vent en bordant ses écoutes.

L'oiseau vibre profondément, paraît prêt à s'arracher mais demeure pourtant fixé au chariot quelques secondes... des siècles pour Le Bris... L'appareil semble vouloir demeurer au sol. Un obstacle imprévu, un clou, paraît-il, dépassant du châssis, a freiné le câble de traction qui, se déroulant mal et imparfaitement, s'entortille aux montants du 'ber'.

La vitesse de l'attelage se maintient cependant grâce à la diminution du poids, conséquence de la portance de l'aile, crispé à ses commandes. Le Bris en assure tou,jours le calage; dans un dernier soubresaut les frêles montants du " ber " n'ayant pu supporter l'effort, cèdent. D'un seul bond, l'oiseau est arraché et part dans les airs, entraînant avec lui, non seulement les débris du châssis, mais encore le malheureux conducteur de la charrette happé par la corde qui, formant lasso, s'est enroulée autour de son corps.

Imperturbable, Le Bris, tout à la joie de se trouver dans les airs à une altitude évaluée à cent mètres environ par les témoins, manœuvre ses leviers au mieux des impulsions de son instinct d'homme oiseau.

Pour les deux amis de Le Bris, le spectacle n'est pas tout à fait celui qui avait été prévu. Si l'oiseau, répondant aux espérances de son inventeur, s'est affranchi de ses entraves terrestres, leur stupeur fait bientôt place à une cruelle angoisse en voyant la tragique position dans laquelle se trouve le malheureux cultivateur entraîné dans les airs et suspendu au bout de son câble comme à la remorque d'un vautour cruel.

Alerté par les cris de ses amis et de son infortuné passager, se doutant d'une mésaventure, le capitaine Le Bris manœuvre pour revenir au sol dans un vol plané impeccable. L'oiseau artificiel se rapproche du sable et, rapidement la distance à laquelle plane le cultivateur, aviateur involontaire, diminue pour l'amener doucement sur la plage où l'oiseau de Le Bris se pose à son tour dans d'excellentes conditions. Au moment où l'appareil touche le sol, il se déséquilibre et pivote en une esquisse de 'cheval de bois' autour de la pointe d'une des ailes. Cette avarie, avec les reins endoloris du conducteur de la charrette, font les frais de cette expérience par ailleurs pleinement réussie.

Entouré de ses amis enthousiasmés, auxquels, malgré l'heure matinale, commencent à venir se joindre de nombreux spectateurs, Le Bris fait alors le bilan de ce premier essai, et en amateur de solutions nettes et précises, l'établit comme suit :

Au passif: un insignifiant défaut matériel entraînant un incident qui a modifié les conditions de l'expérience et vraisemblablement abrégé sa durée.
A l'actif: un vol réel parfaitement effectué à une altitude relativement grande et sur une distance importante.

Pour la première fois au monde, un appareil "plus lourd que l'air", emportant un passager, s'était élevé au-dessus de son point de départ, avait gagné ensuite en altitude pour se poser enfin sur le sol après avoir parcouru dans les airs une certaine distance... "


Charles-Yves PESLIN
Jean-Marie Le Bris - Marin breton précurseur de l'aviation
Société d'édition aéronotique, Les Ailes, Paris, 1944